L' UNESCO ET LE PARTENARIAT AVEC LA SOCIETE
CIVILE
Philippe MÜLLER-WIRTH
Spécialiste de l'UNESCO pour les Nouveaux partenariats
Tout d'abord, je voudrais remercier , au nom de l'UNESCO, l'A.I.P.E.O., les
autorités belges et bruxelloises de ce cadre formidable dont l'organisation
a dû être très compliquée. Le soutien de l'UNESCO
ne pouvant pas être matériel cette fois-ci, j'espère qu'il
pourra être intellectuel.
Depuis notre dernier colloque à Sophia Antipolis, en février 2002,
le paysage des partenariats de l’UNESCO a continué à évoluer.
Je ne vais pas aborder, ici, la politique de l'UNESCO dans son détail,
car tout a été très bien dit par Mr.Chelikani, qui connaît
bien l'UNESCO et qui, à travers le Comité des ONG, a influencé
les partenariats de l'UNESCO. Il a également bien décrit le cadre
de la politique de partenariat des Nations Unies. Je vais me limiter à
deux aspects particuliers qui sont d'une pertinence actuelle. Depuis 2002, il
y a eu le Sommet de Johannesburg, d'une part, qui a recadré l'idée
du partenariat et, à mon avis, pour la première fois, abordé
tous les problèmes du développement avec tous les acteurs de la
Société. Le constat qu'on peut faire, à ce moment, par
rapport à ce Sommet, est qu'il est le premier à avoir abordé
la complexité du développement dans sa dimension totale ; elle
est énorme. On est en face d'une interdépendance de tous les secteurs
de sociétés, de toutes les disciplines, de tous les moyens qui
peuvent interagir en faveur du développement durable. C'est une chose.
La deuxième chose est que l'UNESCO a fait un pas vers un cadre normatif
de ces partenariats avec une orientation nouvelle. Pour la préparation
des directives pour ses relations avec le monde des affaires – et à
la différence de ce qu'a fait le Secrétariat des Nations unies
avec ses « Directives pour la coopération entre les Nations unies
et le monde des affaires « , l'UNESCO envisage de ne plus adopter des
directives particulières pour la coopération avec les entreprises,
mais d'adopter des directives pour les partenariats de l'UNESCO dans leur ensemble.
C'est à dire qu'on a une nouvelle vision. A l’origine on a commencé
par une vision financière, on a considéré le secteur privé
en tant que source de financement des projets. C'était des relations
de mécénat assez classiques qui ont commencé dans les années
90. Ensuite on a compris que le secteur privé pouvait fournir bien plus
qu'un simple soutien financier, que le privé est dépositaire d'expertise,
de réseaux d'équipements cruciaux pour mener à bien des
projets de développement, surtout pour assurer leur durabilité.
Maintenant, on a compris que le secteur privé tout seul n'arrivera pas
non plus à un partenariat avec l'UNESCO, mais qu'il faut cibler des «
multi-partenariats », ce qui complique encore le développement
de projets. Ainsi, on a fixé un certain nombre d'orientations et d'éléments
principaux qui devraient régir nos partenariats.
Toutes sortes de partenaires doivent être mobilisés pour des projets
en éducation, en culture et science.
Il y a aussi certains principes éthiques qui doivent s'appliquer à
n'importe quel partenaire ou partenariat, telle que la transparence et la responsabilité
redditionnelle
C'est à dire, il est très beau de se lier avec des partenaires,
d'être d'accord avec des ambitions sociales que l'on peut partager et
que l'on partage de plus en plus avec les populations de nos Etats membres.
Mais le devoir est d'utiliser les moyens de chacun des partenaires de manière
responsable, de manière efficace et d'atteindre des résultats
justifiables devant les " groupes cibles " : entreprises, ONG, et
gouvernements.
Il y a également l'obligation de cohérence avec nos priorités
programmatiques et stratégiques. Très souvent, dans le passé,
des entreprises sont venues proposer des idées précises à
l'UNESCO afin de profiter de son image auprès des gouvernements et de
se faire valoir auprès d'eux. Ce n'était pas négatif en
soi, mais ce qui était parfois négatif était que l'UNESCO
oubliait parfois ses propres intérêts au détriment de ses
missions prioritaires. Ce besoin de cohérence avec nos priorités
programmatiques a été stipulé tout récemment dans
les éléments principaux de futures directives.
Un autre aspect mentionné dans ces documents et qui est très important
sont les capacités internes dont les partenaires, y compris l'UNESCO,
ont besoin pour mener à bien le partenariat. Certaines conditions préalables
sont nécessaires pour s'engager dans un partenariat avec un grand groupe
multinational, comme, par exemple, l'OREAL.
Pour résister, si l'on peut dire, à la " force de frappe
" de ce grand groupe, l'UNESCO doit se munir, avant de commencer les négociations,
d'une capacité interne pour répondre à cette force et défendre
ses propres intérêts. Souvent, quand le privé voit son intérêt
dans un partenariat, il essaie d'ignorer celui de son cocontractant. Il faut
donc, chez chacun, des capacités pour gérer les partenariats.
Des partenaires récents de l'UNESCO comprennent ce besoin et sont prêts
à investir dans ces capacités de partenariat.
Un deuxième élément qui est apparu récemment au
sein du système des Nations Unies est la création par le Secrétaire
général des Nations unies, M Kofi Anan, d'un groupe de haut niveau
chargé de revoir les relations entre les Nations Unies et la société
civile. Ce groupe est présidé par M Cardoso, ancien président
du Brésil. Dans les termes de référence de ce groupe, on
précise que le secteur privé, les ONG, les parlementaires ou tout
autre organisme non-éthatique font partie de la société
civile. On avance un concept holistique des partenaires.
Ce groupe doit examiner comment améliorer ces rapports et revoir les
relations entre les Nations Unies et le secteur privé – ce dernier
étant considéré comme un acteur du développement
parmi une multitude d'autres qu'il faut prendre en considération. On
envisage également des formes mixtes, des groupements dits « for
benefit organisations », ainsi que le secteur informel. Il est devenu
très difficile d'isoler le secteur privé, le monde des affaires,
en tant que secteur particulier. Telle est l'évolution du cadre normatif
régissant les partenariats.
Comme l'a signalé le représentant du ministre, les gouvernements
doivent être d'abord une plate forme de négociations entre les
ONG et le privé, pour l'encadrement des partenariats et surtout aussi,
conjointement avec le privé et le ONG, le "Needs assessment "
c'est à dire toute une méthodologie de recensement des besoins
de développement.
J'en viens à la décentralisation car on imagine très souvent
qu'il y a à Paris deux mille fonctionnaires un peu déconnectés
du monde réel qui adaptent de beaux textes qui n'ont pas grand chose
à voir avec la dure réalité du développement sur
le terrain. Mais l'UNESCO ne se limite pas à ses bureaux situés
à Paris. Elle a plus de cinquante bureaux régionaux dans le monde
comprenant plus de 700 personnes, cent quatre vingt-dix commissions nationales
dans les États membres dont les agents ne sont pas des fonctionnaires
de l'UNESCO mais de leur gouvernement et qui sont chargés de promouvoir
les objectifs de l'UNESCO.
Il y a environ cinq mille clubs, associations et centres volontaires partout
dans le monde.
L'UNESCO a un tissu de réseaux très important dans le milieu académique,
scolaire. On a des milliers d'écoles associées, des chaires, des
réseaux programmatiques tels que des biosphères, les sites du
patrimoine mondial. Tout cela ne se passe pas à Paris, mais sur le terrain
en partenariat multiple. Les objectifs de nos efforts récents sont justement
de mettre l'accent sur le " local " par opposition au " global
". Á ce titre, on a établi des relations avec la Fédération
mondiale des PMEs (World Association of Small and Medium Enterprises –
WASME) qui doit être vecteur important de coopération sur place
entre les entreprises et les réseaux de l'UNESCO.
Je voudrais illustrer ce discours par une initiative récente de l'UNESCO,
l'Alliance Mondiale pour la diversité culturelle. Cette initiative traite
d’un phénomène de la mondialisation : la standardisation
des produits et services culturels partout dans le monde contre laquelle l'UNESCO
s'est engagée - en essayant toutefois de coopérer avec les organismes
qui standardisent les produits. Cela peut ressembler à la quadrature
du cercle mais l'UNESCO a compris que, contre le groupement des intérêts
économiques, aucun programme ne peut aller très loin et que les
programmes de gestion du secteur culturel doivent être traités
en lien direct avec les questions relatives aux droits d'auteur et au cadre
commercial des grand groupes du cinéma, de la musique, de l'édition.
Pour conclure, mon objectif personnel est de pouvoir revenir à Paris
avec certains projets concrets des ONG et des entreprises présentes ici
et pouvoir faire le lien entre ces projets et ce qui est déjà
en cours. Je finirai par un appel. Quant on participe à des conférences
comprenant des partenaires multiples, on a très vite l'impression qu'il
y a un grand nombre de personnages prêts à s'engager pour le développement
durable dans leur pays propre ou dans les pays en développement au moyen
de projets divers. Cette volonté correspond presque aux besoins qui existent
en matière de développement.
Le problème est que l'offre et la demande ne se rencontrent pas. Il y
a un nombre phénoménal de personnes prêtes à aider
et un nombre phénoménal de personnes prêtes à recevoir
l'aide mais elles ne se retrouvent pas. Il faut commencer à l'UNESCO
comme ici, à nous organiser, à établir une méthodologie
du partenariat, à gérer l'information autour du partenariat dont
nous sommes presque inondés. L'UNESCO est prête à soutenir
un tel effort.
Rao CHELIKANI .- La paternité du concept de partenariat
Entreprise-ONG revient à l'UNESCO qui exploite aujourd'hui plusieurs
modalités de partenariats
Timothée Yéli MONKENYA .- Mon pays, le Congo
Kinshasa attend beaucoup de l'UNESCO. Après trente cinq ans de carrière
en Belgique, je me demande s'il existe une entreprise prête à débloquer
de l'argent pour investir quelque part si elle n'y trouve pas un intérêt.
Le Congo a des projets pour se développer mais ne trouve pas de partenaire.
Que faire puisque nous manquons d'argent ? Nous savons que l'UNESCO dépend
de la politique, mais la politique doit être humaine. L'UNESCO peut -
elle prétendre que son action est efficace en Afrique ?
Philippe MÜLLER-WIRTH.- L'absence de l'UNESCO dans une
grande partie du monde s'explique par ses moyens propres qui sont modestes.
Elle aura prochainement un budget d’environ six cents millions de dollars
pour deux ans ce qui représente beaucoup d'argent, mais peu en rapport
à ce qu'elle est censée faire.
Yves DEBAILLE.- Je représente une toute petite ONG
qui travaille gratuitement depuis pas mal d'années et qui ne coûte
rien. Je viens de lire un article de Monsieur WOLFENSOHN qui parle de 6300 ONG
dans le monde et qui coûtent très cher. Le milieu informel des
pays en développement est prodigieusement intelligent, actif, créatif.
Ce qu'il produit n'est pas connu. En face de l'Organisation Mondiale du Commerce,
OMC, il faudrait des l'Organisation Mondiale des Codécisions Humaines,
ajouter un H à OMC. Monsieur Serge LATOUCHE, grand économiste,
un peu iconoclaste, parle très bien du secteur informel. Il ne croit
pas au développement durable. J'y crois à condition d'y intégrer
le secteur informel.
L'UNESCO a -t- elle un secteur informel ?
Godefroy IFEFO.- Dans le même ordre d'idées,
l'UNESCO a-t-elle pensé à intégrer les ressources humaines,
les intelligences, les capacités locales africaines ?
Philippe MÜLLER-WIRTH.- C’est seulement au cours des années 90 que la Banque mondiale a constaté l’importance des femmes et du secteur informel en tant que facteur de développement. Quant à savoir comment intégrer le secteur informel dans le développement, la question relève de la compétence de l'Alliance mondiale pour la diversité culturelle et des initiatives récentes. Pour évaluer la valeur des projets présentés, l'aide du privé complémente celle des politiques.