« Le partenariat Entreprises – O.N.G. pour un développement
durable : de la théorie à la réalité », tel
était le thème soumis à l’examen des participants
au colloque organisé à Bruxelles, le 3 juin 2003, par l’Association
Internationale pour le Partenariat Entreprises – O.N.G.,( A.I.P.E.O.).
Est-il possible de parler de développement et surtout de développement
durable dans un monde déchiré par les conflits fratricides, allant
de la guerre de clocher aux exterminations de masse, au nom de rivalités
tribales, raciales ou religieuses et qui, néanmoins, connaît un
accroissement démographique sans précédent dans l’histoire
de l’humanité ? L’observateur peut être tenté
de céder au découragement.
Et pourtant, quel homme de cœur pourrait rester indifférent à
tant de souffrances frappant tant d’innocentes victimes, à tant
de pauvreté due à des ressources naturelles déficientes
et à l’incapacité de les mettre efficacement en œuvre
?
Après le cruel échec du collectivisme qui prétendait régir
(et au-delà)toute la vie économique et qui a été
abandonné dans la plus grande partie du Monde, la libre entreprise est
apparue triomphante. Mais elle a ses dérives. Comme l’a observé
Mme Jacqueline MAYENCE, Sénateur honoraire, ancien Secrétaire
d’Etat à la Coopération au Développement, administrateur
de la Fondation de Médecine tropicale, certaines sociétés
peu scrupuleuses ont parfois suscité des besoins dans le tiers-monde
pour des projets inutiles et qui ne pouvaient connaître de lendemains.
Ces abus peuvent être évités par des motivations éthiques
comme le pensent également Mr.Jacques LABRE, Directeur des relations
institutionnelles du groupe Suez, ainsi que Mr.Philipp Müller Wirth, responsable,
à l’Unesco, des partenariats avec le secteur privé, pour
qui elles permettent de lutter contre le fléau de la corruption. A cette
expression, Mr.Bernard de Gerlache, Président de la Chambre de Commerce
Belgique-Luxembourg-Afrique-Caraïbes-Pacifique, Administrateur à
Texaf, préfère la notion de justice et d’intégrité
qui répond à des pratiques tout à fait définies.
Plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à
l’eau potable ; près de deux milliards et demi ne bénéficient
pas de l’assainissement. Mr.Labre nous a exposé les réalisations
du groupe Suez en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Ce faisant,
vous avez tout simplement assuré le développement économique
du groupe Suez, a remarqué Mr.Eric Feront, de l’Association Aquadef.
Sans doute, mais en quoi est-il déshonorant, pour un professionnel compétent,
de réaliser avec conscience un travail d’intérêt générakl
à la satisfaction de son client, moyennant une juste rémunération
? Au surplus, ce travail ne correspond pas aux pratiques courantes et fait appel
à une véritable « ingénierie sociale » par
l’esprit créatif qu’ il exige à tous les stades de
la conception et de la réalisation des travaux. C’est là
qu’apparaît le partenariat avec les ONG et un exemple est éclairant.
Comment réaliser des réseaux d’adduction d’eau et
d’assainissement dans un bidonville de Manille de 46.000 personnes, construit
en hauteur et ne comportant que des allées de 1m50 de large ? Des ingénieurs
n’ont pu trouver la solution qu’après de longs pourparlers
avec les représentants d’associations d’usagers qui ont autorisé
l’accès à leurs arrière-cours pour la pose des canalisations,
indiqué l’emplacement des batteries de compteurs individuels, car
chacun voulait un raccordement personnel, organiser le relevé des consommations
et le paiement des factures dont le montant est apparu près de huit fois
moins élevé que l’achat aux porteurs d’eau traditionnels.
De son côté, Mr.Loïc de Cannière, Administrateur délégué
d’Incofin, a exposé comment cette société d’investissement
accorde des prêts de micro-finance de l’ordre de 50 à 500
€uros à de petites entreprises d’Afrique et d’Amérique
latine avec des taux de recouvrement de 94 à 98%, de concert avec une
association d’employeurs chrétiens et des fondations belges, américaines
et suisses. Incofin réalise aussi des missions d’expertise.
La Fondation Energie pour le Monde, dirigée par Mr.Yves Maigne, résulte
du groupement de diverses institutions françaises publiques et privées.
Elle a pour objet d’améliorer l’accès à l’énergie
dans les zones rurales des pays du Sud. Grâce à elle, 500.000 personnes
bénéficient de l’électricité dans 27 pays.
Cette œuvre n’a été possible qu’au prix de nombreuses
tractations et palabres avec les différents acteurs, notamment avec les
entreprises du Sud qu’il est indispensable d’associer aux projets.
Le Club Zonta, qui réunit 38.000 personnes dans 71 pays, souhaite améliorer
le sort des femmes. Mme Gabrielle Speitz von Rosenberg a fait part de l’action
au Togo, du club de Bad Saikingen, en Allemagne, qui a construit des fours et
déchoirs solaires permettant de faire la cuisine, de cuire du pain à
vendre aux clients, et de faire bouillir de l’eau rendue ainsi propre
à la consommation.
L’Association Energy Assistance, ayant constaté que l’électricité
est un bien essentiel à la base du développement, s’emploie,
en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, à construire des installations
électriques dans un esprit humanitaire ainsi que l’a relaté
Mr.Michel de Ligne, son managing-director.
L’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie(ADEME),
nous aexpliqué Mr.Gérard Saunier, son Délégué
permanent auprès de l’Union Européenne, n’est ni une
entreprise, ni une association, mais un Etablissement public français
qui a pour priorité l’utilisation rationnelle de l’énergie
et des énergies renouvelables afin, notamment, de lutter contre le changement
climatique lié à la pollution de l’air par l’excès
d’oxide de carbone. L’énergie solaire offre des ressources
encore insuffisamment exploitées.
Mr.Jean-Louis Colombani, avocat et chef de bataillon de réserve, a exposé
l’action du Groupement interarmées des actions civilo-militaires,
élément de l’armée française qui envoie des
détachements dans les régions en crise afin de faciliter le retour
à la vie normale sous la direction des autorités locales, l’action
s’exerce, soit par des démarches directes, par exemple dans le
domaine médical, soit par des expatriés dans les matières
les plus diverses.
Comme l’a montré Mr.Müller Wirth, on ne saurait négliger
l’action de l’Unesco qui a toujours pratiqué le partenariat
avec de nombreux organismes et qui est en train de lui donner une orientation
nouvelle en créant un cadre normatif. Elle entend assurer la cohérence
avec la priorité de ses programmes et être certaine des capacités
internes des divers acteurs à mener à bien les projets envisagés.
Outre son siège, à Paris, elle a de par le Monde, 50 bureaux régionaux
et un tissu très important de réseaux dans le milieu académique
et les sites du patrimoine mondial. Ses moyens importants ne sont malheureusement
pas à la hauteur des besoins. De par ses contraintes politiques, elle
est parfois reconnaissante aux ONG de brandir la bannière de causes estimables
qu’elle n’est pas en mesure de défendre avec toute la vigueur
souhaitée.
Les tableaux précédents montrent que le développement durable
requiert de multibles interventions dont les principaux acteurs sont les entreprises.
La tâche de celles-ci peut être facilitée par les ONG comme
l’a montré notamment Mr.Labre. Il y a là un fait nouveau,
car, durant longtemps, les deux entités étaient tenues pour antinomiques,
comme l’a observé Mme Mayence, l’esprit mercantile censé
animer exclusivement les entreprises s’opposant aux visions pures et idéalistes
des ONG.
Mais les différences s’estompent. Nombre de cadres des ONG ont
une expérience du privé a signalé Mr.Luc Langouche, Président
de l’Association « Iles de Paix », alors que d’autres
sont des professionnels qualifiés en pré-retraite nous a dit Mr.
de Cannière. Mieux, certaines ONG sont constituées par du personnel
volontaire et bénévole d’entreprises importantes qui en
reçoivent une aide, certes, mais qui oeuvrent en pleine autonomie. Tel
est le cas des associations Aqua Assistance, émanation du groupe Suez,
comme l’a marqué Mr.Labre, et Energy Assistance, provenant du groupe
Tractebel que nous a présenté Mr. de Ligne.
La coopération entre ces deux sortes de groupements, qui restent cependant
très dissemblables, risque d’être compliquée par la
réaction de certains politiques des pays du Sud pour qui « organisations
non gouvernementales » signifie « organisations anti-gouvernementales
», comme l’a indiqué Mr.Maigne.
Il y a en effet un troisième acteur intéressé au développement
durable : ce sont les gouvernements concernés. Nous sommes devant une
coopération triangulaire comme l’a qualifié Mr.Rao Chelikani,
Président de l’A.I.P.E.O.
Mr.Parick Lamot, Chef de Cabinet Adjoint du Président de la Région
de Bruxelles Capitale, a insisté sur la nécessité d’œuvrer
au développement de façon concrète pour que les moyens
investis ne soient pas dilapidés en pure perte. Pour Mme Mayence, l’aide
bilatérale doit s’accompagner d’un dialogue sans paternalisme
ni ingérence en vue de réaliser des projets de dimensions convenables.
Mais les gouvernements du Sud ne peuvent pas tout faire. Certains abandonnent
à d’autres une grande partie du secteur habituellement dévolu
au secteur public. Mr. de Gerlache a cité une société ayant
son siège à Kinshasa qui assure le service anti incendie de la
moitié de la ville ; d’autres entreprises participent au fonctionnement
de l’Hôpital public. Cela a été pour mme Mayence de
saluer le rôle souvent héroïque des ONG qui, malgré
les guerres ont apporté leur soutien aux populations.
Il reste une sphère d’activité à laquelle un participant
africain a souhaité associer le partenariat, le « secteur informel
» , proposition appuyée par Mr.Yves Detaille, Président
de l’association SCI-Belgium, pour qui le milieu informel des pays en
développement est prodigieusement intelligent, actif, créatif.
Certes, il n’est pas question d’empêcher les petites gens
de subsister avec les moyens du bord. Mais Mr. de Cannière a dénoncé
l’énorme concurrence des PME informelles qui ne sont pas soumises
à certaines règles fiscales, par exemple. Mr. de Gerlache a fait
chorus en évoquanr une exploitation minière du Katanga dont la
production est tombée de 400.000 à 20.000 tonnes, alors que des
creuseurs anarchiques produisent 200.000 tonnes dans des conditions totales
d’insécurité et en se livrant à tous les trafics.
Journée bien remplie qui a donné l’occasion à notre
Président d’honneur, Mr.François de Tinguy, de lancer un
appel à la solidarité et aussi à l’humilité.
Que les experts du Nord ne se rendent pas dans le Sud en maîtres, mais
en amis, et prennent en compte les traditions sans lesquelles rien de durable
ne peut être fait.
Le Colloque s’est clos sur l’adoption d’un code d’éthique
que l’A.I.P.E.O. propose commle ligne de conduite du partenariat entre
les Entreprises et les ONG.
Pierre DECHEIX
Administrateur de l’A.I.P.E.O.