Par Bernard de Gerlache
Président de la Chambre de Commerce
Belgique – Luxembourg – Afrique – Caraïbes Pacifique
Administrateur de Texaf
Le terme ONG est une chose sur laquelle on a le droit de s’interroger. La Chambre de Commerce CBL-ACP que je préside est une ONG. Les entreprises privées sont aussi des ONG si on se tient à l’étymologie exacte de ce qui se cache derrière cette abréviation.
Je préfère l’expression d’acteurs socio-économiques avec des responsabilités vis-à-vis des actions que nous avons. C’est ce qui nous réunit. Nous avons des finalités qui peuvent être différentes. Les entreprises privées appartiennent au secteur marchand. En effet, nous avons des objectifs de rentabilité qui permettent de rémunérer le risque des actionnaires, de pratiquer l’autofinancement et le réinvestissement . Le secteur non marchand a, lui aussi, ses responsabilités vis-à-vis de ses donateurs, des pouvoirs qui leurs donnent des subventions et des autorités publiques qui, elles mêmes, ont des comptes à rendre aux contribuables.
Dans le secteur non marchand, certains apportent des réponses à
des situations d’urgence et d’autres à des objectifs de développement
ou d’assistance suffisamment définis ou mobilisateurs leur permettant
de recueillir des subventions et des dons. En matière de situations d’urgence,
l’entreprise privée n’a pas grand chose à faire sauf
là où il y a des interventions répondant à des situations
de crise. Dans ce cas, la collaboration entre l’intervention militaire,
l’action des entreprises privées pour la reconstruction du pays
et le secteur non marchand ne peuvent que se justifier et doivent être
intensifiées.
Il est normal, en cas d’intervention militaire, que ceux qui ont fait
l’effort sur le terrain pour reconstruire la paix privilégient
leurs entreprises nationales.
Le grand problème est la différence de développement entre
les pays de Nord, les pays du G8 qui sont aujourd’hui à Evian et
ceux du Sud et cette différence ne pourra se combler à terme que
grâce au secteur privé capable de créer de la valeur ajoutée
dans les pays du Sud pour autant que ceux-ci soient gérés comme
des Etats de droit . Je vais reprendre la problématique évoquée
par le Dr. Debaille, de mettre en exergue le secteur informel. Là, je
ne suis pas tout à fait d’accord car le secteur informel dans beaucoup
de pays en difficultés est la conséquence de l’absence de
l’Etat de droit et de l’absence d’organisation. Le secteur
informel, surtout ne nous félicitons pas de son existence, mais tâchons
, par tous les moyens, qu’il revienne dans le secteur formel.
Qui admet le secteur informel, admet automatiquement une concurrence inégale
avec les sociétés du secteur formel. Si on admet l’informel
il y a également de la place dans celui-ci pour des gens dangereux qui
s’y installent et sont en fait des trafiquants en tous genres.
Mme Mayence a demandé aux entreprises de ne pas renoncer aux engagements de cofinancement. Il y a eu des partenariats entre la coopération au développement, des organisations de développement du secteur non marchand et des entreprises où l’entreprise bien sûr doit assurer sa contribution dans le cadre d’un contrat. Mais il y a parfois dans la vie économique des événements qui sont tels que les entreprises, pour leur survie, sont amenées à se restructurer et malheureusement à renégocier les conditions des partenariats qui ne relèvent pas directement de leur finalité économique. La force majeure nécessite malheureusement parfois la suspension du mécénat et des actions de développement social.
Les entreprises sont actives dans le secteur non marchand. Pour donner un exemple, une entreprise qui a son siège à Kinshasa, au Congo, assure l’entièreté du service incendie de la moitié de la ville. Le médecin de son hôpital, non seulement s’occupe de l’hôpital de l’entreprise, mais en plus, va assister un hôpital de l’Etat, qui est également soutenu par plusieurs organisations du secteur non marchand.
Nous sommes donc tous dans le même bain, celui d’une Afrique dans
lequel, espérons-le, les robinets marchent et où le bouchon est
fermé ! Ce qui est important, c’est donc de se connaître,
de comprendre les visions de l’autre et, de temps à autres avoir
des relations bien précises.
Deux écueils à signaler. Entre l’entreprise et le secteur
non marchand il peut y avoir des concurrences. D'une part quand les ONG se mettent
à pratiquer des activités réellement économiques.
Quand j’entends parler de « commerce équitable », je
constate que cela devient une activité économique, une activité
de production. L’entreprise qui est dans le même métier deviendra
donc un concurrent. Dans ce cas, les règles de la concurrence s’imposent
et que le meilleur gagne ! Si une ONG fabrique des fours solaires dans un pays,
elle est en concurrence avec les fournisseurs de fours solaires qui tâcheront
de les importer ou de les fabriquer sur place.
Un autre domaine où secteurs non marchand et marchand peuvent avoir
des divergences de vues, c’est dans les pays situés en zones de
conflit. Cela devient des relations entre des « ONG politiques »
et les entreprises installées dans les zones de conflit, le dialogue
devient souvent impossible et on voit trop souvent des ONG essayer, par toute
une série de pressions d’obtenir le départ des entreprises
qui se trouvent sur place. Est-ce vraiment rechercher le développement
pour le futur ? Je ne le crois pas. Le rôle de l’entreprise est
de rester là où elle est, le plus longtemps possible quelles que
soient les circonstances. Je donnerai seulement un exemple celui de Shell et
de Exxon toutes les deux installées en Afrique du Sud et qui, au moment
de l’apartheid, ont eu une attitude totalement différente l’une
et l’autre. Exxon, sous la pression internationale, a décidé
de quitter l’Afrique du Sud et s’est exilée sur d’autres
terres. Shell est restée, a subi bien entendu une série de critiques
importantes du fait de continuer à être active dans ce pays. Nelson
Mandela, après avoir pris le pouvoir, a remercié Shell d’être
resté et d’avoir été un facteur de développement
pour le futur. (il n’a pas remercié Exxon).
En conclusion, nous devons tous répondre à des objectifs d’intégrité.
Je n’aime pas parler d’éthique qui fait référence
à la morale. Nous avons tous une morale personnelle et nous n’avons
qu’à en répondre vis-à-vis de nous mêmes. L’intégrité
, c’est autre chose, et c’est quelque chose de beaucoup plus précis,
c’est une notion de justice, c’est une notion objective où
les pratiques peuvent être tout à fait définies. Ce sont
des questions de justice vis-à-vis de ses actionnaires, de ses donateurs
ou du contribuable, de ses fournisseurs, de ses clients, de ses travailleurs
et de l’environnement en général.
Eric Feront – Revenant sur la notion de commerce équitable, M.
Van de Putte, s’est rendu en Colombie. Il y a un exemple de carrefour
de Max Havelaar avec Kauri.
Le secteur (not profit) que je n’appellerai pas « non marchand »
parce qu’il éveille les consciences. Le café Max Havelaar
rentre dans les rayons de Carrefour qui ne s’est posé aucun problème
car ce café n’entre que pour 8 % dans son chiffre d’affaires.
Max Havelaar n’est pas un concurrent de Carrefour. Il existe des entreprises
belges qui, derrière une asbl, développent une politique commerciale
qu’elles n’osent pas avouer.
Ce n’est pas souhaitable car c’est mélanger les affaires
et les activités désintéressées. Chacun doit rester
à sa place.
Le représentant d’une ONG – Sans doute, il existe une concurrence entre les sociétés de commerce. Mais les ONG essaient de faire participer des populations mises de côté par la concurrence et qu’on ne peut pas laisser ne pas vivre. Le secteur privé doit travailler sur un intérêt, une rentabilité et les ONG travaillent pour que les gens vivent de mieux en mieux.
Michel de Ligne – Effectivement par l’activité d’une entreprise, une compétence se développe qui peut souvent être mise au service d’ONG qui la répercute au service des populations civiles.
Michèle Gits – Le Centre de coordination au développement est un espace international d’informations qui a pour objet d’éditer une base de données reprenant les divers éléments de la coopération formelle et informelle. Tout le monde reconnaît que cet outil est utile mais nous ne pouvons pas obtenir de l’aide pour le réaliser.
Christian Doat – Cette initiative est en effet très utile et l’AIPEO est disposée à collaborer à ce projet.
Un délégué africain – On ne doit pas opposer l’informel au formel. L’informel se développe par manque de structure mais est aussi une entreprise qui aspire à acquérir la technicité des entreprises formelles. Dans le cadre du partenariat, il faudrait associer les entreprises informelles.
Bernard de Gerlache – Personne ne s’oppose en
cas de force majeure à ce que les populations démunies travaillent
dans l’informel : c’est une question de survie. Mais là où
l’informel devient inacceptable c’est par exemple dans des zones
minières à l’abandon où des creuseurs anarchiques
se battent entre eux pour conserver leurs puits ou meurent sous les éboulements.
Ce secteur informel devient d’autant plus dangereux qu’il est animé
habituellement par des trafiquants sans scrupules pour lesquels j’estime
qu’informel rime avec criminel.